Les langues me passionnent ; je suis une exploratrice émerveillée de tous les possibles qu’offre un apprentissage langagier dans plusieurs langues. Inconditionnelle curieuse, les tâtonnements de mes filles ou de mes petits patients me fascinent autant qu’ils me questionnent et m’interrogent. Récemment, face aux difficultés persistantes d’un de mes petits patients bilingues sur l’acquisition du genre des mots (en français), je me suis intéressée au genre grammatical en linguistique.
Est-ce une spécificité propre au français ? Quels sont les différents genres grammaticaux et toutes les langues en ont-elles ? Comment le genre des mots est-il déterminé ? Pourquoi est-ce si difficile à acquérir pour certains ?
Quelques éléments de réponses ici – fascinant !
Le genre grammatical n’existe pas dans toutes les langues : certaines langues comme le chinois, le japonais, le bengali ou le turc ne possèdent pas de genre grammatical. Dans ces langues, il n’y a ni masculin, ni féminin, ni neutre, ni tout autre genre comme par exemple l’animé et l’inanimé, le vivant et le non-vivant.
A l’inverse, dans certaines langues d’Afrique, on retrouve parfois plus de 10 genres grammaticaux. Dans ces langues, la notion de genre est extrêmement variée et ne concerne pas uniquement le sexe (masculin ou féminin). On retrouve ainsi des genres fondés sur la mobilité/l’immobilité, le liquide, le solide etc. L’apprentissage de ces nombreux genres se fait naturellement lorsque l’enfant apprend à parler, lorsqu’il expérimente la syntaxe et le lexique de sa langue.
La grande majorité des langues (plus de la moitié des langues du monde) possède un système linguistique ayant un genre grammatical.
Traditionnellement, les langues indo-européennes (dont font partie le français, l’espagnol, l’italien, l’anglais pour ne citer que ces langues) ont 2 ou 3 genres :
- il y a 2 genres (masculin et féminin) pour le français, l’espagnol, l’italien,
- il y a 3 genres (masculin, féminin et neutre) pour l’allemand, le russe, le polonais, le bosniaque, le croate, le roumain par exemple.
Les langues sémites comme l’arabe ou l’hébreu possèdent également 2 genres.
L’anglais, qui appartient pourtant aux langues indo-européennes, fait figure d’exception et les anglophones ont bien du mal à maîtriser cet apprentissage. Il y a pourtant eu 3 genres dans l’histoire linguistique de l’anglais : on retrouve des traces du masculin, du féminin et du neutre dans le vieil anglais ! Avec l’usage et le temps, ces 3 genres ont disparu. On n’en trouve plus trace dès le 12ème siècle.
En réfléchissant aux usages actuels en anglais, le pronom « it » est une bonne occurrence du neutre : il est réservé aux choses inanimées ou aux animaux.
Quant aux pronoms « he » et “she”, ils sont réservés au genre social c’est-à-dire au sexe (masculin et féminin).
Le pronom singulier « they » que l’on voit réapparaître et qui est utilisé par les personnes ne souhaitant pas être genrées (he/she) a existé en anglais-médiéval et a été condamné au 18ème siècle lorsque les langues se sont grammaticalisées et codifiées. Ce qui apparaît comme une nouveauté ou comme un phénomène socio-culturel a – en réalité – une histoire linguistique bien réelle.
A méditer …
En français, tout comme en espagnol et en italien, le genre neutre a existé. Au fil du temps et des usages, la plupart des langues indo-européennes ont délaissé le genre neutre et n’ont conservé que le masculin et le féminin. L’attribution du genre masculin ou féminin (ou neutre) ne respecte a priori aucune règle : c’est l’usage qui a déterminé que tel ou tel terme serait masculin ou féminin ou neutre ! On comprend plus aisément pourquoi l’apprentissage du genre dans une autre langue que sa langue maternelle peut être si déroutant !!
Le neutre vient tout droit de l’indo-européen et le latin en a hérité. Il provient de la distinction genre inanimé/genre animé. Il était attribué le plus souvent aux objets, mais on retrouve dans certains cas particuliers, l’usage du neutre pour des personnes : c’est le cas du mot « esclave » qui était neutre…
L’utilisation du neutre était déjà vacillante à l’époque de Cicéron (latin pré-classique) et a rapidement disparu.
Pour aller un plus loin dans l’analyse, il existe en français moderne des mots épicènes, c’est-à-dire des mots à la fois masculins et féminins.
C’est le cas de nombreux pronoms (je, tu, on, nous par exemple) et de nombreux termes désignant les humains (journaliste, juge, élève, touriste, enfant etc.)
Récemment, on assiste à la féminisation de certains termes épicènes : c’est encore un signe de l’évolution linguistique d’une langue grâce à l’utilisation socio-culturelle de ses locuteurs. On accepte désormais une auteure, une professeure etc.
Sur une même lignée, il semblerait que le genre neutre réapparaisse petit à petit avec l’utilisation du pronom iel (dans le Robert depuis novembre 2021). Le suédois utilise – depuis une dizaine d’année – le pronom “hen”, pronom qui n’est pas genré.
Au-delà des clivages socio-culturels dont il n’est absolument pas question ici, il est fascinant d’observer à travers le temps et l’histoire, la perpétuelle évolution des langues vivantes.
Sources :
https://fr.babbel.com/fr/magazine/entretien-avec-anne-abeille
https://www.yuqo.fr/comprendre-le-genre-grammatical/
https://www.radiofrance.fr/franceculture/pourquoi-n-existe-t-il-pas-de-genre-neutre-en-francais-2346