La gamme de fréquence dans les langues 

La gamme de fréquence dans les langues

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Chaque langue possède sa propre gamme de fréquences ; certaines langues ont une gamme de fréquences très étendue alors que d’autres ont une gamme de fréquences bien plus réduites. Et il se pourrait que notre facilité (ou notre difficulté) à apprendre une langue et à en maîtriser l’accent et les intonations soit justement liée à cette gamme de fréquences.

Dans l’article qui suit, je vais m’intéresser à quelques notions d’anatomie et de physiologie sur lesquelles réfléchir lorsqu’on est confronté à l’éducation plurilingue.

À la naissance, le bébé perçoit toute la gamme de fréquences du langage humain : il est ainsi capable de percevoir des sons qui s’étendent de 20 à 20000 hz (Hertz, unité de mesure de la fréquence). Au fur et à mesure des mois, son oreille va se spécialiser aux sons de la ou des langues qu’il entend régulièrement, voire quotidiennement. Il s’opère alors en quelque sorte une super spécialisation aux sons de la ou des langues auxquelles le bébé est exposé. Dans un jargon plus linguistique et phonologique, on parle de l’installation du filtre auditif – qui apparaît très tôt dans le développement, aux alentours de 7 mois. Notre oreille et notre capacité à discriminer les sons des différentes langues se façonnent grâce à notre exposition répétée aux langues, ce qui symétriquement nous rend moins sensible aux autres. Le monde verbal perçu par un locuteur est donc très fortement lié aux langues dans lesquelles il évolue. Prenons un exemple qui m’a toujours amusé et qui reflète très bien ce phénomène : la perception des cris des animaux perçus très différemment qu’on soit par exemple locuteur français ou locuteur anglais (US). J’ai toujours trouvé fascinant d’entendre mes filles faire le cri du coq à l’américaine “ cock-a-doodle-do” avec une aisance incroyable quand j’essayais lamentablement de reproduire ce “cocorico” imprononçable…

Comme nous l’avons vu précédemment, le spectre de fréquences des langues est extrêmement étendu et chaque langue dispose de sa propre gamme de fréquences (cf. Graphique issu de l’article publié dans Language Insights, 2018) Certaines langues possèdent ainsi un spectre moins étendu et des fréquences plutôt basses, c’est le cas du français, du chinois, de l’allemand, de l’espagnol et du japonais. D’autres possèdent une gamme de fréquences plutôt moyenne, notamment l’italien et l’anglais US.

Fait intéressant, l’anglais US et l’anglais UK sont une seule et même langue et pourtant la gamme de fréquences est bel et bien très différente. L’anglais UK possède une gamme de fréquences qui s’étend de 2000 à 12 000 hz, alors que l’anglais US s’étend de 1000 à 4000 hz ; il est en cela plus proche de la gamme de fréquence du français (125 à 2000 hz). Est-ce que cette différence expliquerait pourquoi lorsqu’on va au cinéma aux Etats-Unis et qu’on y regarde un film britannique, les sous-titres sont nécessaires pour les spectateurs! Cela m’avait intriguée à l’époque ; je vous laisse méditer cette hypothèse !

Une autre donnée intéressante que j’ai trouvée au cours de mes recherches, concerne la rapidité d’élocution des langues. Chaque langue est en effet parlée plus ou moins rapidement. Parmi le top 6 des langues les plus rapides, nous retrouvons le Japonais (moyenne de 7.84 syllabes/sec), l’espagnol, le français ( moyenne de 7.18), l’italien, l’anglais (pas de précision s’il s’agit de l’anglais US ou UK), l’allemand et enfin le mandarin (moyenne de 5.18 syllabes/sec). Il semblerait ainsi que les langues n’ayant pas de ton ou une structure syllabique simple (CV-CVC) ont une tendance à être parlée rapidement. A l’inverse, les langues dont les tons sont plus nombreux et dont les structures syllabiques sont plus complexes, nécessitent d’être parlée plus lentement.

Cela m’amène donc à notre perception des langues et notre capacité à les apprendre et les parler. Développer ses habiletés langagières n’est pas juste une question d’écoute, d’articulation ou d’apprentissage lexical. Il s’agit de développer sa perception et de l’affiner pour petit à petit, se familiariser à une gamme de fréquences qui diffère de celle de notre langue maternelle. Mais, une bonne perception auditive n’est pas suffisante pour parler une autre langue sans accent ! Alors que faire ? Faut-il changer notre voix pour parler dans l’autre langue ? Aviez-vous déjà remarqué que votre voix ou celle de vos enfants étaient différentes selon la langue d’expression ? Assez spontanément, nous tentons de nous approcher du spectre de fréquence de l’autre langue pour la parler sans accent ou avec un accent moindre. Ce que les enfants font assez naturellement lorsqu’ils apprennent une deuxième langue très jeune ou simultanément car leur super-spécialisation perceptive concerne en réalité plusieurs langues.  Mais que les adultes – apprenants tardifs d’une deuxième langue – ont beaucoup plus de mal à réaliser : leur accent pourrait provenir en réalité de l’utilisation des fréquences de leur L1 pour parler en L2. Incroyable, n’est-ce-pas ?!

Autre question intéressante : y a-t-il d’autres spécificités, par exemple anatomiques, qui sous-tendraient la possibilité de parler comme un natif autrement dit sans accent ? Avant de traiter ce point, rappelons tout de même que parmi la langue authentique, nous avons sommes confrontés à une grande variabilité de prononciation selon les pays ou les régions (on l’a vu précédemment avec l’anglais US/UK, c’est vrai aussi avec le français et les accents de nos régions : l’accent du Sud-Ouest est par exemple très différent de l’accent de Paris ou de l’accent québécois ou Belge). Ce phénomène a été expliqué par le linguiste Guiora (1991) et nommé “le phénomène Conrad”, du nom de l’écrivain Joseph Conrad né en Ukraine de parents Polonais qui maîtrisait comme un natif l’anglais écrit mais qui le parlait avec un fort accent, parce qu’il l’avait appris tardivement, après sa scolarité. La maîtrise d’une langue ne saurait donc tenir qu’à la seule maîtrise d’un accent authentique, n’en déplaise à ceux qui pensent le contraire !

Revenons à notre sujet et intéressons-nous à l’anatomie quelques instants.

Très tôt, le bébé va s’entraîner à mobiliser la motricité bucco-faciale : les mouvements de la langue, des lèvres, de la mandibule (mâchoire inférieure), du palais, du pharynx, du larynx, des cordes vocales vont permettre le développement, entre autre, de l’articulation. Comme nous l’avons vu plus haut, les sons des langues sont différents et les mouvements réalisés pour les produire diffèrent également d’une langue à l’autre. A ce titre, les caractéristiques phonologiques et phonétiques d’une langue jouent un rôle dans le développement des muscles de la face et de la langue et expliqueraient au moins en partie pourquoi certains phonèmes sont difficiles voire impossibles à reproduire par certains locuteurs. C’est le cas ainsi des locuteurs Japonais souhaitant prononcer un /l/ qui n’existe pas dans leur langue ou du /r/ français et du /r/ anglais qui ne se produisent pas de la même manière : l’un étant articulé avec la base de la langue, quand l’autre est produit avec la partie antérieure de la langue. Le locuteur va donc s’approcher du son correct en utilisant le schéma articulatoire propre à son répertoire langagier. Enfin, j’ai trouvé quelques recherches menées sur un probable lien entre la morphologie des os de la face et la langue parlée, mais je n’en ai pas trouvé suffisamment pour m’étendre sur ce sujet.

Il reste cependant fascinant de constater à quel point le langage est une notion très globale qui impacte bien plus que ce que nous voyons ou entendons. L’importance de la perception des fréquences et des mouvements de la bouche et de la face ont des répercussions certaines sur la manière dont nous parlons, articulons et percevons notre ou nos langues.

Cela est d’autant plus important lorsque nous évoluons dans la sphère du bilinguisme ou du plurilinguisme et ouvre de vrais questionnements : Est-ce une nécessité de vouloir parler sans accent ?  L’articulation de l’enfant est-elle absolument une affaire mécanique ou d’autres aspects physiologiques et perceptifs mériteraient d’être pris en considération ?

Une dernière donnée importante : il n’y a pas de différences significatives dans la prévalence des troubles d’articulation entre les populations bilingues et monolingues. (2015, Clinical linguistics & phonetics)

Sources :

https://erikbern.com/2017/02/01/language-pitch.html  

https://medium.com/language-insights/sound-frequencies-of-language-714b97811408 

https://www.cairn.info/revue-francaise-de-linguistique-appliquee-2006-1-page-21.htm 

https://hal.science/hal-01228883/document

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